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« A chaque excursion des terroristes, on ne compte que des dégâts, des enlèvements et des morts. » Adjima THIOMBIANO

Le maire de la commune de Madjoari, Adjima THIOMBIANO, au cours de son séjour à Ouaga a bien voulu accorder une interview à notre rédaction. Durant plus d’une heure d’interview, il est revenu de long en large sur la situation sécuritaire très dégradée dans sa commune obligeant plus de 10 000 personnes à fuir leurs villages laissant derrière eux, leurs terres, leurs cultures et toutes leurs existences.

Gulmu Info (G.I) : Présentez-nous votre mairie

Adjima THIOMBIANO (A.T) : La commune de Madjoari est une commune rurale de la province de la Kompienga, dans la région de l’Est. Elle fait frontalier au sud avec la république du Benin, à l’Est avec la province de la Tapoa, au Nord avec le parc national d’arly et à l’Ouest avec le Parc National d’Arly. Au dernier recensement, la commune de Madjoari comptait 14 000 habitants repartis dans 8 villages et 6 hameaux de cultures en phase d’être transformé en Villages administratifs.

GI : Vous résidez actuellement à Pama, c’est bien ça ?

AT : J’étais à Madjaori mais avec l’insécurité, nous avons délocalisé le conseil depuis deux ans pour travailler à distance. Avec l’insécurité, nous sommes les premières cibles et nous ne sommes plus la bienvenue dans notre commune. Depuis le début des attaques, les représentants de l’Etat ont plié bagages et nous avons suivi par la suite car nos vies étaient menacées et nous manquions de moyens pour nous protéger.

GI : Pouvez-vous nous faire un point de la situation sécuritaire dans votre commune à la date d’aujourd’hui ?

AT : Aujourd’hui avec l’insécurité, sur 8 villages et 6 hameaux de cultures, 6 villages et les 6 hameaux de cultures se sont vidés de leurs populations depuis le 7 Juin dernier et à la date du 29 Juin, les deux autres villages sont entrain de se vider. Il ne reste plus plus de 20 hectares dans ma commune où les populations y résident. Je ne peux pas estimer la population qui reste, mais à ce que je sache, moins de 2000 personnes y restent.

GI : Où sont partis les 12 000 autres habitants

AT : Chaque personne dans ma commune s’est cherchée dans la direction où il pense trouver un refuge. Selon les informations que j’ai en ma possession, un millier de personnes se retrouvent sur le territoire béninois, plusieurs milliers dans la commune de Pama, principalement à Nadiagou et Pama et les autres sont allés vers la province de la Tapoa principalement dans la commune de Logobou et de Partiaga. Aux dernières nouvelles, plus de 11 000 déplacés ont déjà été recensés par les services de l’action sociale de la province de la Kompienga. Ceux qui restent dans le chef-lieu de la commune ne sont plus beaucoup. C’est juste une minorité.

GI : Pourquoi sont-ils partis ?

AT : Vous savez que l’insécurité dans une zone comme la notre est plus forte que les capacités de résilience des populations. Dès le début de l’insécurité en 2018, le chef du village de Tanly a été assassiné et des écoles ont été pris pour cibles. L’Etat a foutu le camp, nous laissant seul et en envoyant un détachement militaire pour nous venir en aide. Le camp est dans le chef-lieu de la commune et absent dans les villages environnants. A chaque excursion des terroristes, on ne compte que des dégâts, des enlèvements et des morts. La situation sur les axes est très compliquée car les hommes armés contrôlent les deux portes d’entrés dans la commune sous les yeux et aux sus des forces de défense et de sécurité. Avec les enlèvements, les tueries et les vols d’animaux, le 07 Juin dernier, les populations ont reçu la visite des hommes armés leur donnant un ultimatum pour vider les villages. Avec l’assassinat le 03 juin d’un conseiller, de son fils et de son voisin, suivi du 04 juin de l’enlèvement de deux jeunes, retrouvés égorgés plutard dans la bourse, les populations ont la ferme conviction que le détachement militaire ne peut pas les protéger. Pour sauver leurs vies, il est mieux de partir que de rester pour vivre le pire.

GI : Qu’est-ce qui a été dit à l’ultimatum ?

AT : Selon les populations que nous avons rencontrées, les hommes armés sont venus le 07 Juin et leurs ont simplement demandé de quitter le village en ces termes. « Quittez car nous voulons faire notre travail. » Ce sont les mots de ses hommes armés. Un délai de trois jours leurs a été donné et la suite, vous la connaissez : La débandade simplement. Cela s’est passé dans le village de Kodjaori. A tour de rôle, tous les autres villages exceptés le chef-lieu de la commune, ont été visité avec le même message.

C’est après tout que dans la journée du 29 Juin 2021, que des jeunes ont été enlevés dans le chef-lieu de la région et sont revenus avec un message intimant les gens à quitter le village car ils veulent sauter le pond de Ségou situé sur la Route Nationale 19, la seule et unique voie d’accès de la commune. Ceci a donné la peur totale à la population car sans ce pond, Madjoari est coupé du monde. Sans ce pond, c’est fini. Il faut utiliser des barques pour traverser les deux rivières qui entourent la commune. Selon les jeunes enlevés, les hommes armés ont affirmé que toute personne qui tenterait de cultiver cette année sera abattu et qu’un avis de recherche de quatre personnes dans le village est lancé. Ces quatre personnes sont toujours dans la commune et il nous est impossible de les exfiltrer faute de moyens.

GI : Pourquoi ils veulent ses quatre personnes ?

AT : Ces personnes sont des personnes ressources et clés de la commune qui ont des noms qui peuvent mobiliser du monde. Nous craignons fortement pour ces personnes. Pour preuve, il y’a un de nos conseillers qui après avoir fui son village et se refugier à Tambarga, un village situé à au plus 2 Km du camp du détachement, a été rejoint par les terroristes et abattu froidement. Un autre jeune s’est aventuré à aller aussi à la recherche de son âne, mais a été retrouvé plus tard égorgé.

GI : Y’a-t-il une base militaire et quelle relation entretenez-vous avec elle ?

AT : Depuis deux ans, la base militaire est à Madjoari. C’est quoi leur travail, je ne sais pas. Nous on sait qu’ils sont là pour notre sécurité. Mais avec ce qu’on vit, on ne sait pas s’ils sont là pour s’auto-sécuriser ou pour autre chose. On voit les populations qui sont entrain de fuir les laisser. On n’a pas vu l’effort physique qu’ils ont fait contre ces terroristes pour rassurer la population. On vide des villages successivement et c’est comme si rien ne se passait. A tour de rôle, tous les villages ont défilé devant eux et on ne voit rien sur le terrain.

GI : Etes-vous en contact avec eux ou sont-ils informés de la situation ?

AT : La gendarmerie nous donne souvent des informations. Mais l’armé, je n’ai pas de contact. Il n’y a pas de collaboration directe entre nous. Ils n’ont pas un seul numéro et quand ils viennent ils ne se présentent pas à nous. Le pire est que quand tu veux aller les voir, il y’a une grande barrière. On ne peut collaborer qu’avec une personne qu’on connait. Leur existence à Madjoari, je ne sais vraiment pas exactement le pourquoi. A chaque fois que j’ai une information, j’informe qui de droit. Le chef de brigade de la gendarmerie, la police et même le ministre de la défense sont informés à la seconde suivante. Mais à chaque alerte, aucune réaction. Je suis dépassé. Tout le monde a l’information mais rien ne se fait sur le terrain.  

GI : Quelle est la situation des Volontaires de la Patrie dans votre commune ?

AT : Nous n’avons pas de VDP dans notre commune. Nous avions demandé 200 au départ et l’Etat nous avait en son temps accordé en son temps 80 qui devait être formé en deux étapes. Une première vague de 40 VDP et une seconde de 40 aussi. Nous avons transmis depuis plus d’un an, les noms des 80 VDP, mais pour des questions administratives jusqu’à ce jour, aucun VDP n’a été appelé, ni formé, ni équipé dans notre commune. Je profite lancer un appel, un cri de cœur : Installez les VDP en grand nombre dans notre commune et équipez-nous. Nous pouvons nous défendre. Les autres ne viennent pas avec des avions. Nous connaissons le terrain et si nous avons aussi des motos et des armes, on peut s’auto-sécuriser.

GI : La population a envie de se défendre ? Sont-elles prêtes à se défendre elles-mêmes ?

AT : Il n’y a pas plus grande honte que de vivre à l’étranger. Si tu n’es pas à l’aise chez toi, ce n’est pas à l’étranger que tu le seras. Personne ne veut fuir et laisser sa terre. Nous sommes prêts à prendre les armes et nous défendre quel qu’en soit le prix à payer. Nous sommes prêts. Mieux vaut mourir chez soi en se battant que d’aller vivre chez les habitations des autres personnes. Si nos populations sont déplacées, c’est par manque de moyens. Si je le pouvais et j’avais les moyens, j’allais acheter des armes et donner à ma population. Nos populations sont des guerriers. Ils ne collaborent pas avec des gens qu’ils ne connaissent pas.

GI : Quelle interpellation avez-vous à faire aujourd’hui ?

 AT : Nous sommes très dépassés. Les évènements qui se passent dans notre commune est sous silence.  Malgré ce qu’on vit et l’information que nous avons donnée çà et là, aucun média, aucune autorité ne fait cas. Même le président dans son discours n’a pas cité les milliers de burkinabè qui ne savent plus à quel saint se vouer. Ça nous fait mal, très mal et je le répète, ça me fait mal. Nous on se dit que l’Etat ne considère pas notre commune comme étant de ce pays. Au moins si on en parlait, on peut espérer qu’une action sera réalisée dans les jours à venir. C’est comme si on tuait des poulets. Ni le préfet, ni le haut-commissaire, ni le gouverneur, ni un ministre ne mentionnent notre commune dans ses propos. A comparer la façon dont on traite les autres communes et les autres événements, ma commune est délaissée, oubliée. Je ne vois pas l’importance de ma commune. Il faut que ça change.

Propos recueillis par OUOBA Van Marcel

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