Le président Roch négocierait avec les djihadistes pour sauver le Burkina
Abreuvé de subventions pour endiguer les groupes radicaux établis sur ses frontières, le président burkinabè Roch Kaboré négocie en parallèle avec ceux qu’il est censé combattre. Une politique déjà menée par son prédécesseur Blaise Compaoré, dont l’entourage a toujours maintenu le contact avec les groupes armés djihadistes.
C’est un aparté en apparence anodin qui a réuni, pour quelques heures, le président burkinabè Roch Marc Christian Kaboré et son homologue malien Ibrahim Boubacar Keïta le 1er avril à Dakar, où les deux hommes étaient venus assister à l’investiture du chef de l’Etat sénégalais Macky Sall. Mais le sujet qui les a longuement occupés, sans témoin, l’est, lui, beaucoup moins : depuis maintenant un mois, le président burkinabè négocie secrètement avec les groupes djihadistes actifs sur sa frontière nord et ce avec l’aide et le soutien de son homologue malien.
Africa Intelligence a reconstitué en exclusivité ces négociations ultra-secrètes, qui interviennent au moment où le Burkina prend la présidence de la force africaine G5 Sahel, mise en place pour… lutter contre les groupes djihadistes dans la bande sahélo-saharienne !
Concours de vertu entre Compaoré et Kaboré
Depuis deux mois, Roch Kaboré et son prédécesseur Blaise Compaoré se livrent à une étonnante surenchère : tout en se défendant d’avoir jamais entretenu des liens avec les combattants actifs au nord du pays, chacun laisse entendre que l’autre n’est pas exempt de soupçon à cet égard. Fin février, Roch Kaboré a ainsi explicitement déclaré sur l’antenne de Deutsche Welle que le régime de Blaise Compaoré avait « un deal » avec les djihadistes établis au Nord.
Une déclaration qui a suscité l’ire de l’ancien président, qui a répondu début avril, depuis son exil ivoirien, par une lettre datée du 29 mars et réceptionnée par la présidence le 12 avril. L’existence de cette dernière a été relayée par les réseaux sociaux avant même que la présidence burkinabè ne la reçoive. Aucun des deux hommes ne peut se permettre d’ignorer la dégradation de la situation sécuritaire au nord du Burkina. Dans les régions de Soum, Oudalan et Séno, plus de 1300 écoles ont été contraintes de fermer.
Il ne se passe plus une semaine sans que l’armée burkinabè ne subisse les assauts des groupes djihadistes opérant le long de la frontière avec le Mali. Le problème est particulièrement aigu pour Roch Kaboré, qui veut solliciter un second mandat en novembre 2020 et ne peut se prévaloir d’aucune amélioration de la sécurité auprès de son électorat. Son principal opposant, Zéphirin Diabré, mène déjà campagne en fustigeant le bilan du président sortant en matière de lutte contre le terrorisme.
Mission secrète de la présidence burkinabè
Pour prendre le problème à bras-le-corps, la présidence burkinabè a décidé d’initier des contacts avec plusieurs katibas actives dans le Nord. But de ces pourparlers : négocier un statu quo avec les combattants. Le Mali et surtout la Mauritanie ont déjà conclu des arrangements de même type, même s’ils l’ont toujours nié, tout comme Biaise Compaoré, qui gardait le contact avec les djihadistes du Nord via ses conseillers Gilbert Diendéré et Djibril Yipènè Bassolé.
Les canaux ouverts par les deux hommes ont même profité à la France, qui les a utilisés pour négocier la libération de ses ressortissants retenus en otage au Sahel. Dans la droite ligne de la politique menée par Biaise Compaoré, la présidence burkinabè a donc reçu, la première semaine de mars, deux émissaires disposant de liens avec les divers groupes actifs au nord du Burkina. Il s’agit du député malien Ahmada Ag Bibi et du leader touareg Bilal Ag Acherif. Acheminés du Mali jusqu’à la présidence burkinabè par un avion affrété sur ordre d’ibrahim Boubacar Keïta, les deux hommes ont longuement rencontré Roch Kaboré en présence de ses deux principaux conseillers pour les questions sécuritaires, à savoir le ministre burkinabè de la sécurité et le colonel François Ouédraogo, coordonnateur de l’Agence nationale du renseignement (ANR).
Aucun haut gradé militaire n’a assisté à cet entretien. Depuis le coup d’Etat manqué du Régiment de sécurité présidentielle (RSP) du général Gilbert Diendéré en septembre 2015, le président burkinabè soupçonne la haute hiérarchie militaire d’entretenir des liens avec son prédécesseur Blaise Compaoré et la tient éloignée du centre du pouvoir. Selon nos informations, le président burkinabè a demandé à ses deux interlocuteurs de « l’aider » à négocier un statu quo avec les groupes actifs dans le Soum et dans le Nord, « comme l’a déjà fait la Mauritanie ».
« Vous avez aidé mon prédécesseur (Blaise Compaoré – NDLR), maintenant aidez- moi », a lancé Roch Kaboré à Ahmada Ag Bibi et Bilal Ag Acherif, suscitant les protestations de ses deux interlocuteurs, qui se sont défendus d’avoir jamais mené de mission pour l’ex-chef de l’Etat burkinabè, sans forcément convaincre.
Ahmada Ag Bibi, courtier en radicalité Ahmada Ag Bibi et Bilal Ag Acherif ont tous les deux des liens étroits avec plusieurs katibas maliennes opérant au Burkina. Député de la ville malienne d’Abeïbara (région de Kidal) depuis 2017, Ahmada Ag Bibi est l’ancien numéro deux du groupe djihadiste Ansar Eddine d’Iyad Ag Ghali, longtemps affilié à la nébuleuse Al-Qaeda au Maghreb islamique (AQMI).
Mais depuis le début des années 2010, l’homme s’est progressivement spécialisé dans l’intermédiation avec les groupes combattants au Sahel. Il a notamment assisté Jean-Marc Gadoullet, ancien officier français de la DGSE, pour négocier, en 2011 avec le chef d’AQMI Abou Zeid, la rançon de trois des sept otages français capturés par le mouvement en septembre 2010. Prix de cette libération : 15 millions d’euros. Pour la présidence burkinabè, Ahmada Ag Bibi est un interlocuteur particulièrement précieux. L’homme a des liens avec le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), composé pour une large partie d’anciens militants de son mouvement Ansar Eddine et dirigé par son ex-mentor Iyad Ag Ghali, dont il est resté proche.
L’autre interlocuteur de Roch Marc Christian Kaboré, le touareg Bilal Ag Acherif, est le secrétaire général du mouvement indépendantiste touareg MNLA, qui rassemble plusieurs mouvements nés sur les ruines du groupe Ansar Eddine d’Ahmada Ag Bibi. Le MNLA fut, alternativement, allié puis adversaire des mouvements islamistes les plus radicaux du Sahel, et notamment d’AQMI.
Blessé dans des affrontements avec des groupes djihadistes en 2012, Bilal Ag Acherif avait, à l’époque, été discrètement soigné au Burkina grâce à l’entregent du général Diendéré.
Négociations tous azimuts avec les Touaregs
La rencontre d’avril n’a pas encore abouti à des résultats concrets, mais ce n’est, selon nos informations, pas la seule qu’a organisée la présidence burkinabè avec des intermédiaires susceptibles d’influer sur les djihadistes du Nord. Par le truchement d’un autre président de la région, le Nigérien Mahamadou Issoufou, Roch Marc Christian Kaboré a également rencontré, plus tôt dans l’année, trois leaders touaregs. Il s’agit d’El Hadj Ag Gamou, qui a la double casquette d’officier dans l’armée malienne et de chef de la milice GATTIA et a notamment combattu l’Etat Islamique (El, ou Daech) au Niger en 2017 aux côtés de l’armée française.
Le deuxième est son ami et ancien consul du Mali au Niger Alhamdou Ag Ilyene, qui est depuis 2018 gouverneur de la ville de Nioro du Sahel après avoir été celui de Kidal. Le troisième leader touareg est Moussa Ag Acharatoumane, un milicien touareg fondateur du MNLA. En échange de leur intervention, les trois hommes ont demandé des compensations financières. Contactée, la présidence burkinabè n’a pas donné suite à nos sollicitations.
Diplomatie impossible
Même si elles sont largement pratiquées dans la région, au gré des échéances électorales, les négociations avec les katibas combattantes restent un tabou dans l’opinion des pays concernés, mais également pour les pays occidentaux engagés au Sahel. Si certains pays, comme la France, ne sont pas dupes puisqu’ils ont bénéficié de ces réseaux pour des libérations d’otages, les Etats- Unis sont moins compréhensifs. Le département d’Etat américain a inscrit en 2018 le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans de Iyad Ag Ghali à la liste des organisations désignées comme terroristes. Or, au moment où le Burkina Faso initie des contacts avec la nébuleuse djihadiste, le pays doit bientôt recevoir près de 30 millions de dollars d’équipements militaires américains pour ses forces armées…
Par Benjamin Augé et Philippe Vasset
Source: Africa Intelligence du 22 avril 2019
Pris sur Netafrique
Image d’illustration.